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Allemagne, chroniques 1933/1945
14 janvier 2018

Berlin, Anhalterbahnhof, de la magnificence à l'oubli, 1880-2003

Avant-propos

De toutes les gares berlinoises, Anhalter Bahnhof est sans doute celle qui fut la plus marquée par l’histoire récente. Construite sous le règne de l’empereur Guillaume Ier dans un Deuxième Reich qui atteint son apogée à la fin du XIXème siècle, elle ne sera plus qu’une grande coquille vide en 1945. Pour autant elle va continuer de fonctionner jusqu'en 1953 et devenir l'un des symboles de la rupture entre l’Est et l’Ouest. Ce sera alors une lente agonie de plusieurs décennies. Abandonnée, dépouillée, squattée puis finalement détruite. Un sursaut des berlinois sauvera une partie du portail d'entrée, comme symbole historique des heures de gloire et de puissance d'une époque lointaine et résolue.

La construction

Située presque au centre de Berlin, au sud de la Potzdammer Platz dans le quartier de Kreuzberg, la modeste gare construite entre 1839 et 1841, plusieurs fois agrandie, va être détruite pour faire place à un édifice de prestige digne de la puissance impériale. Les travaux sont placés sous la direction du célèbre architecte Franz Einrich Schwechten (1841-1924) estimé par ses pairs et surtout par l’Empereur qui lui confia plusieurs importants projets. Il va travailler avec l’ingénieur polytechnicien Heinrich Seidel (1842-1906) spécialiste des structures métalliques. Le chantier débute en 1865 par la destruction de l’ancienne gare. L’inauguration a lieu le 15 juin 1880 en présence de l’Empereur Guillaume Ier et du Chancelier Otto von Bismarck. Le nouvel édifice est imposant. Sa verrière centrale mesure 171 mètres de long sur 62 mètres de large, représentant une surface vitrée de 10.600 m². Anhalter Bahnhof va être pour de nombreuses années, la plus grande gare d’Europe. C’est aussi un lieu d’apparat et de réception des visiteurs de marque étrangers. Il s’agit de les impressionner dès leur arrivée à Berlin. Ludwig Brunow chargé de la décoration, l’agrémente de deux allégories, symbolisant le jour et la nuit, de chaque côté de l’horloge centrale.

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Construction de la gare. Mise en place de la structure métallique de la verrière.

 

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Carte postale du début du XXème siècle et photographie de la gare dans les années 1920

Le IIIème Reich

Sous le régime nazi, la gare continue d'être le théâtre de tous les grands évènements. Arrivées et départs des personnalités étrangères, des dirigeants. Le train spécial du Fürher est régulièrement à quai. De cette gare partent les trains de vacanciers vers les centres de loisirs et de repos créés par le régime, des groupes des jeunesses hitlerienne, le tout souvent filmé, photographié. Elle est aussi le lieu des cérémonies officielles  comme le retour à Berlin de la dépouille de Fritz Todt après son accident mortel en avion en février 1942.

image-443672-galleryV9-uyhtMussolini avec Hitler à son départ de Berlin en 1938. 

3-format43_09_1942_1La croix gammée, symbole du pouvoir nazi est partout présente, y compris sur les locomotives.

Trouvé sur degrelle88"Kraft durch Freude" La force par la joie. Trains d'ouvriers vers les stations balnéaires du Nord de l'Allemagne ou pour embarquer sur des croisières. 

1938_berlin_anhalterHitler sort de la gare en 1938 afin de rejoindre la Chancellerie. La sortie se fait sur le côté du bâtiment.

9d821b8d10fd84354873efaa1516cd12Départ d'un groupe des jeunesses hitlériennes.

65679e8c00c367cfc54c47b3779bcf8eHitler quitte la gare dans son train spécial, Sonderzug.

12 février 1942 Arrivée du cercueil à la gare d’Anhalte

 

Arrivée de la dépouille de Fritz Todt le 12 février 1942. Des obsèques dans le grand style du pouvoir nazi, alors que subsiste toujours des intérogations sur l'accident d'avion qui ramenait Fritz Todt du GQG d'Hitler en Prusse orientale après une entrevue tendue entre les deux hommes. Todt, fervent nazi de la première heure, commencait à avoir des doutes sur les capacités de l'Allemagne à poursuivre la guerre après l'échec fin 1941 de la conquête de Moscou et des premières pertes importantes en matériel. Il préconisait la poursuite du combat uniquement à l'Est car l'entrée des USA en guerre après l'attaque japonaise sur Pearlharbor et la déclaration de guerre immédiate d'Hitler l'inquiétait. Il connaissait la capacité industrielle des USA, contrairement au Fürher.

 

 

 

Anhalter Bahnhof sera l’une des trois gares berlinoises par lesquelles vont transiter les 55.000 juifs expulsés de la capitale vers les territoires de l’Est. Les convois sont formés de wagons à voyageurs classiques, et les horaires affichés. Mais arrivés à destination ils sont dirigés vers les camps d’extermination dans des wagons pour marchandises. 116 convois partent de la gare. D'autres convois encore à destination de Marseille pour un hypothétique voyage vers la Palestine. 

Anhalter Bahnhof vor dem Zug von Berlin nach Marseille_1_09_1936

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46cef17eddf2d4da7bdf7d71c45514cc_pinterestCes trois photos montrent l'expulsion des juifs allemands berlinois.

Anhalterbahnhof_départ juifs allemands_1Autre départ de juifs berlinois depuis la gare, pour un voyage sans retour.

 

 

Ce n’est que le raid massif du 23 novembre 1943 qui endommage sérieusement le site de la gare. Le trafic des grandes lignes est interrompu en raison des importants dégâts sur les infrastructures ferroviaires. Seules les désertes locales sont maintenues tant bien que mal. Deux autres raids, les 3 et 25 février 1945, détruisent l’aile gauche de la gare ainsi qu’une partie de la verrière. La façade n’est que très partiellement touchéeA proximité immédiate, un imposant bunker de protection anti aérienne (Luftschutzbunker) est édifié**

6ed7f55f668e229a660b01f220c10b64Incendies après le raid du 23 novembre 1943.

  ** Construit dans le cadre du « sofort programm » d’Hitler dont l’objectif est la protectionde la population civile des bombardements Alliées, le bunker     ne sera achevé qu’au début de 1943. Relié par souterrains aux tunnels du réseau du métro (U-Bahn) la population peut alors rejoindre la Nordbahnhof après une marche à l’abri des bombardements. Lors de la bataille de Berlin en avril 1945, près de 12.000 personnes s’entasseront dans des conditions de promiscuité et d’hygiène épouvantables dans les 3600 M² de l’abri répartis sur plusieurs niveaux. Il sera l’un des rares grands bunkers à ne pas être détruit après la guerre. Abandonné pendant des années, squatté, transformé en lieu d'expositions puis en musée un peu particulier sur « l’horreur », il abrite aujourd'hui une exposition tout autant particuliaire sur le bunker d'Hitler à la Chancellerie. La vision extérieure de l'abri est  impressionnante, car les alentours sont vides ou presque de constructions.

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Plan de l'un des étages du LS.

 

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Le moteur du groupe électrogène dans le LS. En cas de coupure du réseau, il permet d'alimenter à minima l'ensemble de l'abri.

 

Après 1945

La remise en état des infrastructures est lente et ne sera jamais totalement achevée. Tout est à vérifier, reconstruire: les voies, les dépôts, les ponts, les quais, la signalisation. Mais le partage de Berlin entre les vainqueurs de 1945 va poser un problème crucial pour l’avenir de la gare. Cette dernière est le terminus des grandes lignes qui arrivent de l’Est, comme la Pologne et les États Baltes. Le flux migratoire des allemands expulsés de ces territoires va se chiffrer à plus de 6 millions en quelques mois. Toutes ces zones sont sous contrôle soviétique, alors que la gare est elle en secteur américain. De plus l’entretien et le fonctionnement du réseau est à la charge des autorités du secteur oriental. Ces dernières veulent maintenant réduire l’importance du flux de voyageurs entre l’Est et l’Ouest, car Berlin est devenu au fil des mois le seul lieu de passage presque libre entre les deux blocs. Le trafic diminue inexorablement. En mars 1948, les autorités américaines font détruire les restes, devenus dangereux, de l’immense verrière. Les tensions entre les occidentaux et les soviétiques s’accroissent : Blocus terrestre de la ville, création de la RFA puis de la RDA. Finalement les responsables est-allemands décident de détourner à partir du 17 mai 1952, le trafic ferroviaire par le réseau circulaire de Berlin (Ringbahn) vers la gare de l’Est (Ostbahnhof) situé à Berlin-Est. Les événements de 1953 amènent l’interruption de toute circulation des trains à partir du 17 juin 1953. Anhalter Bahnhof n’est plus qu’une immense ruine déserte au cœur de la ville.

Anhalterbahnhof_1945_1La gare en mai 1945.

 

Margaret Bourke-White waiting to depart from Anhalter Bahnhof, Berlin, Germany) August 1945

 

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02ed04955051f6f95f92aff9a3516ac6Les réfugiés en septembre 1945.

 

blog_3b_Luftbild_1945Vue aérienne du secteur de la gare en 1945, durement touché par les bombardements. Au premier plan le bunker LS. La verrière, très abimée sera détruite en 1948 pour des raisons de sécurité.

 

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 Rare photo couleur de la gare au tout début des années 50.

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Photos prises entre 1953 et 1960. La gare est désafectée. Documents BAMA  

La destruction

Le 25 août 1960, après adjudication, les bâtiments commencent à être détruits afin de récupérer les importants volumes de briques pour un Berlin toujours en reconstruction. Mais la société qui avait emporté le marché n'a pas en réalité les moyens d'achever le chantier. De plus les berlinois  protestent de plus en plus contre la démolition de ce vestige du passé, les travaux s’arrêtent définitivement en 1969. Il était temps, seule une petite partie de la façade d’entrée subsiste encore avec l’horloge et les deux statues ainsi que les bâtiments administratifs. L’espace des voies est progressivement aménagé en terrains de sport et de loisirs. On consolide les ultimes vestiges. En 2003 les deux sculptures sont remplacées par des répliques. Les originaux, restaurés, rejoignent le musée des techniques de Berlin (Deutsches Technikmusum).

 

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La lente agonie du bâtiment. Il faudra des mois de travail, de destructions souvent à l'explosif pour abattre le monument et évacuer les déblais.

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Voilà, c'est fini. Désormais seul une toute petite partie  du vestibule de l'entrée a échapée à la destruction, unique témoin maintenant de la gare.

Aujourd’hui

Dans le projet de Germania, la nouvelle capitale du monde (Weltstadt) d’Hitler, il était prévu la création d’un axe de circulation ferroviaire « Nord-Sud ». Ce dernier devait être entièrement souterrain et relier les nouvelles stations de « Nordbahnhof » inaugurée le 27 juillet 1936, et « Südbahnhof », une construction colossale, en harmonie avec « Germania », mais qui resta à l’état de projet. Quelques centaines de mètres de tunnels furent creusés puis la guerre va interrompre les travaux. Après la réunification de l’Allemagne, les contraintes de circulation des différents réseaux avaient disparu. Un projet est progressivement étudié puis mis en place. Il reprend l’idée de l’axe « nord-sud » avec une connexion entre les réseaux du métro souterrain (U-Bahn), du métro aérien de banlieue (S-Bahn) et des grandes lignes de la Deutches Bundesbahn, les chemins de fer allemands. La nouvelle gare centrale est construite sur l’emplacement de la « Lehrterbahnhof » et inaugurée le 28 mai 2006 sous le nom de « Lehrter Stadtbahnhof ». La page est donc définitivement tournée. Anhalterbahnhof ne retrouvera jamais sa fonction d’avant-guerre, et de nos jours, seule une station du S-Bahn, porte son nom.

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