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Allemagne, chroniques 1933/1945
8 septembre 2023

Deutschland puis Lützow, l'histoire incroyable de ce cuirassée de poche de la Kriegsmarine

Introduction

Pour beaucoup d’entre-nous, au nom de « cuirassé de poche » nous associons le navire Admiral Graf Spee, ce corsaire des mers moderne, lancé le 30 juin 1934 et sabordé cinq ans plus tard le 17 décembre 1939 dans le Rio de la Plata. C’est oublier les deux autres unités de ce type, en particulier le Deutschland dont la carrière, bien que chaotique, ne se termina qu’en 1947. C’est aussi un navire qui, fait rarissime, change de nom au cours de sa carrière, nous verrons pourquoi. Ses derniers combats auront des objectifs terrestres au printemps 1944 lors de l’offensive soviétique en Courlande puis en 1945 contre la Prusse orientale. Soutient aux troupes allemandes qui tentent, en vain, de contrer l’irrésistible avance ennemie. Autre mission non négligeable, l’évacuation de civils et militaires vers l’Ouest. Finalement utilisé comme batterie flottante au sud de Swinemünde, il sera incomplètement sabordé avant d’être renfloué par les soviétique puis coulé lors de test en 1947. Cet article est le fruit d'une collaboration efficace et passionnée avec Jürgen Strecker, qu'il en soit ici remercié.

DeutschlandVue générale du Deutschland. Document forummarine.com 

Historique et caractéristiques

Le traité de Versailles interdit à l’Allemagne de construire des navires de plus de 10.000 tonnes (Washington). De 1929 à 1936 trois unités de la classe « Deutschland » sont programmés et lancés : les Deutschland, Admiral Scheer et Admiral Graf Spee. Les navires font en réalité 14.290 tonnes, 15180 tonnes et 16.320 tonnes en pleine charge, soit plus de 50 % de dépassement. Ils sont surnommés « cuirassé de poche » et classés « navire cuirassé » Panzerschiff avant d’être reclassé en avril 1940, Schwerer Kreuzer, « croiseur lourd ». Le Deutschland est le premier de la série.

La coque du Panzerschiff A, numérotée 219, est mise sur cale aux chantiers Deutsche Werke de Kiel le 5 février 1929 (A noter que la tradition maritime militaire allemande veut que l’on ne donne pas de nom à un navire avant son lancement officiel. Ce n’est jusqu’à ce jour-là qu’un numéro de coque).

Le navire, baptisé  «  Deutschland» est  lancé le 19 mai 1931 en présence du président Hindenburg et de 60000 personnes. Il est admis au service actif le 1er avril 1933.
C'est le troisième navire à porter ce nom depuis l'unification allemande. Le premier était une frégate cuirassée de la classe Kaiser, construite en 1872 en Angleterre. Entrée en service en juillet 1875, jusqu’en 1906, puis servie de cible avant d'être envoyé à la démolition en 1908. Le second était un cuirassé du type pré dreadnought, le premier d'une classe qui allait compter au total cinq unités. Entré en service en août 1906, il participa à la bataille du Jutland avant d'être ferraillé en 1922.

Avec six canons de 28 cm placés en deux tourelles triples en armement principal et huit de 15 cm en secondaire, ils ne peuvent affronter des cuirassés classiques mais surclassent les croiseurs lourds de la classe « Washington » armés de canons de 203 mm. Ils possèdent des installations de détections en avance pour l’époque ainsi que des systèmes de pointages très précis pour les canons. La propulsion diesel, innovante à l’époque, est composée d’un ensemble de huit moteurs diesels MAN à double action M9Z42/58 développant chacun 6563ch soit une puissance totale de 53004ch. Quatre moteurs sont accouplés à un réducteur donnant une puissance pratique de 48390ch qui entraine deux lignes d'arbres munies d'hélices profilées. La production électrique est assurée par huit diesels générateurs Linke-Hoffman Bosch répartis en quatre salles. La puissance totale est de 2160 kW. Avec 3347 tonnes de mazout en soute, le Deutschland peut parcourir 18650 miles nautiques à 15 nœuds et 7149 à 26 nœuds. La vitesse maximale est de 28 nœuds. Enfin dernière innovation, l’utilisation de la soudure à l’arc pour l’assemblage de la coque : gain de poids et de résistance, meilleure pénétration dans l’eau. Cela facilite aussi les réparations directes.

 

 

Déplacement 11 700 t. standard -16 200 t. Pleine Charge
Dimensions 186 m long, 21,60 m large, 7,40 m de tirant d’eau
Machines 3 hélice, 8 diesels 9-cylindres 2-temps MAN. 54 000 cv.
Vitesse maximale 28 nœuds
Blindage Ceinture 76, pont 38, caissons antitorpilles 25, tourelles 140, blockhaus 152 mm
Armement 2 x 3 canons de 280, 8 de 150, 3 x 2 de 105, 8 x 2 de 37 et 6 de 20 mm AA, 8 (2 x 4) TLT 533 mm, 2 avions
Équipage 1 150

600px-Bundesarchiv_Bild_116-125-36,_Port_Arthur,_SMS__Deutschland__im_HafenLe précedant Deutschland, cuirassé pré-dreadnought, à Port Arthur. document BAMA

 

01_deutschland0acLancement du navire le 19 mai 1931 en présence du Chancelier Hindenburg. Document BAMA

Un des huit moteurs diesel 7100PS à 450 tours-minuteL'un des huit moteurs diesel de 7100 ps à 450 tours/minute.

 

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Le navire vient de quitter sa cale de construction. Plusieurs mois seront nécessaires avant l'entrée en service.

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Mise en place d'un canon sur la tourelle avant, Anton, et installation d'une plaque de blindage du toit. BAMA

Premières sorties

Le tout nouveau cuirassé effectue sa première sortie officielle du 20 mai au 1er juin 1933 en mer de Norvège. Il fait des escales à Balholmen (Norvège), aux îles Féroé avant de commémorer le 1er juin la bataille du Jutland que les allemands considéraient comme une victoire sur la Home Fleet. Le 22 juin, il participe à sa première revue navale au large de Kiel. 

Déclaré pleinement opérationnel le 10 décembre 1933, il appareille pour la Norvège le 10 avril 1934 avant d'effectuer des manœuvres avec la flotte puis de réaliser une sortie dans l'Atlantique du 9 au 23 juin 1934, une visite de Göteborg en Suède et ensuite le port de Leith en Ecosse au mois d´octobre. Le 14 mars 1935, le Deutschland quitte une nouvelle fois l'Allemagne pour une croisière vers l’Amérique Latine jusqu’au 19 avril, date de son retour à Wilhelmshaven. Suit une nouvelle sortie en octobre et début novembre avec l’Admiral Scheer dans l´Atlantique pour tester l´artillerie lourde et ses systèmes de conduite de tir. Ces exercises continuent dans l´Atlantique et la Mer du Nord jusqu´au 24 juin 1935.

Deutschland et admiral Scheer_pinterestDeutschland et Admiral Sperr au mouillage. document pinterest.com

deutsc10Passage du canal de Kiel. 

 

Premières missions de guerre : l’Espagne

La première expérience opérationnelle du Deutschland c'est bien entendu la guerre d'Espagne, même si l’Allemagne est officiellement neutre. Le 23 juillet, le cuirassé de poche en manœuvres au large d'Helgoland, retourne rapidement à Wilhelmshaven où il embarque vivres et munitions pour deux mois. Le 26 juillet, accompagné des croiseurs légers Leipzig et Köln, il jette l'ancre à Saint Sébastian alors que l'Admiral Scheer gagne seul Malaga. Le Deutschland porte officiellement une assistance humanitaire sur les ports de Bilbao, Santander, Gijon, El Ferrol et Vigo. C'est ainsi que 26 navires marchands sont escortés et 9300 réfugiés dont 4550 allemands sont aidés par la Kriegsmarine. Le 8 août 1936, il retrouve son sister-ship, l’Admiral Scheer, à Valence avec d'autres navires de la Kriegsmarine, le croiseur léger Köln et les torpilleurs Luchs, Leopard, Möwe, Kondor Albatros et Seedler. Il fait un petit passage au large de Barcelone le 9 août puis met le cap sur l'Allemagne le 24 et arrive à destination le 31 août 1936.

Une deuxième mission dans les eaux espagnoles débute le 1er octobre 1936. Opérant essentiellement en baie d'Alicante, il couvre les cargos transportant les armes et munitions destinées aux nationalistes. A la mi-octobre, 15397 ressortissants dont 5539 allemands ont été évacués. Le Deutschland quitte l'Espagne le 14 novembre après avoir été relevé par le Graf Spee et arrive à Wilhelmshaven le 21 novembre 1936.Il repart pour l'Espagne le 31 janvier 1937 sous des conditions de météo très défavorables, tempête et surtout glace. Le 31 mars il doit être mis, comme prévu, en calle sèche à l'Arsenal de Wilhelmshaven pour des modifications, l’entretien et diverses améliorations. Nouveau pour l'Espagne le 10 mai. Le 21 mai il fait escale à Palma de Majorque en compagnie des torpilleurs Seeadler et Albatros, mais la ville est bombardée le 24 mai ce qui oblige les navires allemands à gagner Ibiza. Le 29 mai au soir, juste après l'arrivée, l'alerte est donnée : des navires républicains sont signalés au large. Au même moment, deux trimoteurs républicains larguent leurs bombes sur le navire. Deux bombes de 50 kg  touchent le cuirassé. La première explose à proximité de la tourelle III tribord de 150mm. Des éclats atteignent le réservoir à carburant aviation et immédiatement l'incendie se déclare, se propageant à l'hydravion et au mess des sous-officiers. La seconde traverse le pont supérieur au niveau du mat militaire et ravage le pont inférieur de la cheminée jusqu'aux soubassements de la tourelle Anton. De nombreuses soutes à munitions sont noyées par précaution. Le bilan est lourd : 31 tués et 110 blessés dont 71 très graves. Le 30 mai, le Deutschland débarque à Gibraltar les 69 marins qui doivent être hospitalisés et les corps des marins tués que les autorités britanniques proposent d'inhumer le 1er juin. Mais à peine enterrés, les corps sont déterrés sur ordre d'Hitler pour être ramenés clandestinément en Allemagne. Le cuirassé arrive à Wilhelmshaven le 15 juin et les 31 marins tués auront le droit à des funérailles militaires grandioses. Cette attaque ne reste pas sans conséquences. L'Admiral Scheer reçoit l'ordre de bombarder Almeria et de couler le cuirassé Jaime 1er. Ce cuirassé n’est past pas dans la rade mais la ville reçoit 91 obus de 28 cm.

Les réparations du Deutschland ne durent pas plus de dix jours et le cuirassé reprend la mer pour des exercices et manœuvres. Le 5 octobre 1937, il appareille de Wilhelmshaven pour l'Espagne toujours en proie à la guerre civile. Il fait escale au Ferrol, à Cadix, Tanger, Algerisas, Ceuta, Melilla puis les ports italiens de Gaète, Naples où l'équipage passe les fêtes de Noël avant d'autres relâches à Capri, Amalfi et Taormina. De retour en Allemagne en février 1938, il est en carénage de février à juillet 1938 avant un nouveau déploiement entre Tanger et Gibraltar du 24 juillet au 15 août puis regagne Kiel le 22 pour assister aux cérémonies de lancement du croiseur lourd  Prinz Eugen. Il est à nouveau présent au large de l'Espagne (Galice) du 22 au 27 septembre avant d'effectuer des exercices avec des sous-marins entre les Açores et les Canaries. Ces exercices sont marqués par des visites de courtoisie à Santa Cruz de la Palma le 9 octobre, à Cadiz le 11, Tanger le 13 et Gibraltar le 15 octobre 1938. Cinq jours plus tard, il regagne l'Allemagne en compagnie du Graf Spee avant de participer début novembre à de nouveaux exercices de tir. Entre le 6 et le 26 février 1939, le cuirassé est présent au large de l'Espagne avant de regagner l'Allemagne pour participer le 23 mars à la reprise de Memel par l'Allemagne. Le 1er avril 1939, il assiste avec la majorité des grands navires de surface de la Kriegsmarine au lancement du cuirassé Tirpitz à Wilhelmhsaven. Il participe l'été suivant à différentes manœuvres destinées à préparer une guerre désormais inévitable.

 

Septembre 1939, la guerre est déclarée, la chasse au large commence.

Au moment où éclate la seconde guerre mondiale, la Kriegsmarine est loin d'avoir atteint ses capacités maximales et comme le dira l'amiral Raeder, ses forces sont tous justes bonnes pour mourir dans l'honneur et préparer les bases d'une renaissance (mit Anstand zu sterben)

Le Deutschland appareille d'Allemagne le 24 août pour mener une guerre au commerce mais son action est bridée par une série de considérations politiques. Certains pays en Europe espèrent encore sauver la Paix. Le cuirassé de poche croise au large du Groenland, et se ravitaille auprès du navire auxiliaire Westerwald. Ce n'est que le 26 septembre 1939 qu’il reçoit toute liberté pour attaquer les navires isolés et les convois ennemis. Il se trouve à cette époque toujours au large du Groenland à la hauteur de la pointe Sud-Ouest de l'Islande. Son commandant gagne l'Atlantique, entre les Açores et les Bermudes pour intercepter le trafic venant d'Amérique Centrale et du Panama. Il cherche en particulier à mettre la main sur les pétroliers, nécessaires à son propre ravitaillement. Le 4 octobre il n’a trouvé aucun navire ennemi car ces derniers ont été détournés pour rejoindre les convois à partir d'Halifax. Le lendemain, il réussit cependant à détruire le cargo anglais Stonegate (5044 tonneaux).
Le 9 octobre 1939, il gagne une nouvelle zone d'opération au Sud-Est de Terre-Neuve et y capture le cargo américain City of Flint qu'il détourne vers l'Allemagne avec un équipage de prise. Le navire gagne Tromsoe en Norvège le 22, mais les autorités norvégiennes internent l'équipage de prise et renvoient le cargo aux Etats Unis. Le Deutschland doit attendre le 14 octobre 1939 pour détruire le cargo norvégien Lorentz W. Hansen chargé de bois. Mais il est chassé par la Force de Raid francaise qui couvre le grand convoi KJ4 et 22 navires de la Home Fleet. Il se ravitaille en carburant et vivres au Westerwald du 25 au 31 octobre 1939.
A cause des très mauvaises conditions metéorologiques en Atlantique avec des ouragans qui causaient de multiples avaries et du fait que les Britanniques avaient tout de suite commencé à former des convois et changer les itinéraires l´opération doit être abandonné. En plus Hitler veut que le navire rentre en Allemagne. Il craint par dessus tout, l'effet dévastateur d'une destruction du Deutschland par les alliés sur l'opinion publique allemande. Le cuirassé de poche quitte la zone. et file à grande vitesse . Il franchit de jour le détroit du Danemark (entre l'Islande et le Groenland) le 8 novembre 1939, passe au large de l'île Jan Mayen le 10 et après avoir évité un bâtiment suspect le 14, fait sa jonction avec la 4ème flottille de contre-torpilleurs. Le 16 novembre il s’amarre dans le nouveau port allemand de Gotenhafen, l'ancien Gdynia polonais.

Deutschland_histcloAprès ses multiples campagnes en Espagne et malgré des débuts peu glorieux en ce début de guerre, il est pourtant l'objet de toutes les admirations. 

 

Changement de nom

Fait rarissime dans l’histoire de la Marine de guerre allemande, le navire change de nom suite aux inquiétudes du Führer. L’amiral Raeder propose de le baptiser « Lützow », Ce nom n’est pas choisi au hasard, c’est en fait celui du cinquième et dernier croiseur lourd de la classe Admiral Hipper. Ce dernier, lancé le 1er juillet 1939 est en finition. Suite au pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS et en gage de confiance, le navire inachevé va être vendue à l’URSS en février 1940. A cette date le changement de nom devient effectif. Le Lützow et Admiral Scheer sont alors reclassifiés « Schwerer Kreuzer » (croiseur lourd). Le Graf Spee a lui disparu, sabordé le 17 décembre 1939 à l’issu de la bataille du Rio de la Plata au large de l’Uruguay.

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Le Graf Spee est sabordé après le refus par les autorités du pays d'accorder un plus grand délais pour effectuer les réparations indispensables au cuirassé. Au large, les trois unités britaniques engagées dans les combats de la veille étaient là dans l'attente du renfort de cuirassés britanniques et français. Le Graf Spee n'est pas en état d'engager le combat et reçoit l'ordre de Berlin de saborder le navire. Les marins allemands seront internés finalement en Argentine  tandis que son commandant  Hans Wilhelm Langsdorff se suicidera le lendemain.

Opération Weserübung : le Lützow et l'invasion de la Norvège.

Au moment de l’invasion du Danemark et de la Norvège, le Lützow doit être engagé dans l'atlantique. Les Allemands espèrent que ses opérations militaires dans les deux pays détournent les flottes anglaises et françaises vers ces derniers, laissant le champ libre au Lützow pour effectuer une nouvelle campagne. Mais les moyens d’accompagnement au navire manquent et la Home Fleet rôde en permanence à quelques centaines de miles de la Norvège. Le Lützow est finalement affecté au groupe N° 5 chargé de la prise d'Oslo. Ce dernier se compose dorénavant des croiseurs lourds Lützow et Blücher, du croiseur léger Emden, de trois torpilleurs et de la 1ère flottille de dragueurs de mines.
Le groupe 5 appareille le 7 avril à partir de 5h pour gagner Kiel. Le Kattegat est franchi le 8 vers midi et les navires sont en position le soir même. Au cours du voyage, le sous marin britannique Trident lance dix torpilles sur le Lützow mais sans aucun résultat, le navire n’est pas touché.
Le lendemain matin l’armada s’enfonce dans le fjord, le Blücher ouvre la marche. Arrivé au niveau de la forteresse d’Oscarborg (détroit de Dröbak), son commandant, le colonel Eriksen, a été prévenu de l’approche d’une force navale étrangère. Il n’a pas reçu d’ordre précis, mais ses consignes permanentes sont d’ouvrir le feu sur tout navire cherchant à forcer le passage. En bon soldat, il va les appliquer à la lettre. A moins de 1500 mètres les obus de 280 mm et de 150 mm pleuvent sur le navire, déclenchant des incendies. Il parvient à poursuivre sa route, mais lorsqu’il passe devant la batterie lance-torpille de Kaholm, dont les Allemands ignorent l’existence, celle-ci lui expédie deux torpilles qui ouvrent d’énormes brèches sous la ligne de flottaison. Le navire est perdu et, malgré les efforts de son équipage, il coule à 6 heures 22, entraînant avec lui plus de 1000 marins et soldats de l'armée de terre embarqués sur le croiseur. Le Lützow encaisse trois coups de 150 mm qui avarient surtout le canon de milieu de la tourelle A. Son commandant fait marche arrière à toute vitesse et décide de débarquer les troupes d’assaut qu’il a à bord, au sud de Dröbak pour prendre la forteresse par la terre. Ce n'est que le 10 avril que les navires peuvent s'amarrer à Oslo. Le 11 avril le Lützow reprend la mer en direction de Kiel pour réparations. Il va avoir moins de chance que trois jours plus tôt puisque le sous-marin britannique Spearfish le torpille, provoquant des dégâts sérieux puisque ses deux hélices et son gouvernail sont arrachés et la coque arrière fortement endommagée .Le Lützow regagne Kiel à la remorque. 

Le LÜTZOW à Keel le 14 avril 1940Le navire à quai à Kiel au retour de l'opération Weserübung. Document BAMA

 

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En cale sèche, l'étendu des dégâts au niveau de la coque est importante.

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Le pont blindé percé.

 

Avril 1940 à décembre 1941, neuf mois d'immobilisation.

A son arrivée à Kiel, le constat des dégâts est impressionnant.  Ces derniers nécessitent près d’une année de réparations et de modernisations. Comble de malchance, le 9 juillet 1940, lors d’un raid britannique sur le port de Kiel de huit bombardiers  Whitley du squadron 10,  une bombe touche le navire  à tribord. Elle traverse deux ponts mais sans exploser. Le Lützow n’est remis en service que le 31 mars 1941. Le 12 juin il quitte Kiel sous forte escorte (trois destroyers/contre-torpilleurs et deux torpilleurs) pour gagner la Norvège mais cet appareillage n'échappa pas aux britanniques. Le 13 juin, un Bristol Beaufort du squadron 42 du Coastal Command, le torpille en mer du Nord. Le projectile touche le navire en plein milieu inondant les compartiments machines. Le navire doit remettre le cap sur Kiel par ses propres moyens après une réparation provisoire Une nouvelle indisponibilité de six mois commence.

a11310La tourelle arrièreBruno, du Lützow avant son changement de nom comme en témoigne l'inscription sur la bouée. 

1942, l’année terrible, bataille de la mer de Barents.

Réparé en janvier 1942, il regagne Gotenhafen en mer baltique et puis Swinemünde pour des essais et des exercices. Il rejoint la Norvège le 17 mai pour tenter d'attaquer les convois alliés à destination de l'Union Soviétique. Lors d'une sortie le 3 juillet 1942 en compagnie de l’Admiral Scheer et cinq destroyers/contre-torpilleurs (Z28, Z24, Z27, Z29, Z30) pour intercepter le convoi PQ17, le croiseur va s’échouer sur un haut-fond. Dégagé et réparé à Kiel, il regagne la Norvège pour se préparer à une nouvelle campagne de 4 à 6 semaines en mer de Norvège. Le 22 décembre 1942, le convoi JW51B appareille du Loch Ewe à destination de la péninsule de Kola en URSS. Ses 15 cargos lourdement chargés sont accompagnés d’une impressionnante escorte de six destroyers, de trois corvettes, d’un dragueur de mines et de trois chalutiers armés. En plus de l’escorte, une couverture à distance est assurée par les croiseurs légers Sheffield et Jamaica et deux destroyers (Force R).  Sans connaissance de ce déploiement, les allemands disposent des croiseurs lourds Hipper et Lützow, accompagnés de six destroyers pour faire la chasse à ce convoi. Les combats sont assez confus en raison de la météo particulièrement mauvaise et des ordres imprécis, provoquent des pertes de part et d’autre. Toutefois, l’ordre donné à l'admiral Kummetz, commandant l’ensemble des forces allemandes, de ne pas engager les croiseurs lourds avec des forces ennemis équivalentes va perturber, voir entraver, les attaques sur le convoi. Ce dernier arrive sans aucune perte en URSS. Les navires allemands endommagés comme l’Admiral Hipper regagnent la Norvège. Cet échec provoque la colère d'Hitler et la chute du Grand Admiral Raeder, partisan de la flotte de surface, qui est poussé à démissionner le 30 janvier 1943 et remplacé par Dönitz, son rival, convaincu lui de la suprématie de la flotte sous-marine. Les grands bâtiments de surface, jugés inefficaces doivent être désarmés et l’artillerie installée sur des positions du mur de l’Atlantique.

a1610Tourelle triple de 28 cm sur position fixe en Norvège.

 

1943: le Lützow dans la Baltique, une année perdue.

Le 8 février, le Grand Amiral Dönitz présente le plan de désarmement exigé par Hitler. Il effectue une distinction entre les unités à désarmer immédiatement (le Gneisenau en réparation et le Graf Zeppelin encore en construction mais presque achevé), celles nécessitant une remise en état longue (croiseur lourd Admiral Hipper, croiseurs légers Köln et Leipzig) et celles considérés comme encore utiles en Norvège (cuirassé Tirpitz et croiseur de bataille Scharnhorst) et dont le désarmement va être différé jusqu'à l'automne dans un premier temps. Un groupe d'entrainement (Ausbildungverband der Flotte) est également mis sur pied avec les croiseurs lourds Prinz Eugen, Admiral Scheer, Lützow et les croiseurs légers Nürnberg et Emden. En dépit de son aversion pour les grands bâtiments, Hitler accepte de revenir sur sa décision de désarmement et le 23 mars 1943, un puissant groupe de combat est rassemblé dans l'Altafjord, groupe de combat composé du Tirpitz, du Scharnhorst, du Lützow et de huit destroyers. En raison de problèmes mécaniques, le Lützow n’est finalement pas engagé dans les raids de ce groupe et il quitte son mouillage de Kaafjord le 23 septembre 1943 pour regagner Kiel fin septembre sous les menaces des sous-marins et vedettes rapides britanniques, échappant de peu à deux attaques de la RAF. Le 1er octobre 1943, le croiseur gagne Gotenhafen et malgré les sévères bombardements du 9 octobre 1943 où 272 tonnes de bombes sont larguées uniquement sur le port, le croiseur en ressort intact. Il quitte alors Gotenhafen pour le port letton de Libau, plus à l´est, réduisant ainsi les risques de bombardements, pour une refonte qui va durée près de six mois. 

1944-1945 : les derniers combats d’une campagne oubliée.

Les travaux de refonte s’achèvent le 15 mars 1944. Le Lützow est utilisé alors comme navire-école pour les élèves-officiers de la Kriegsmarine. En juin 1944, les croiseurs lourds Prinz Eugen, Lützow, Admiral Scheer et les contre-torpilleurs de la 6ème Zerstörer Flottille sont regroupés pour former un groupe de combat qui prend bientôt le nom de son amiral commandant : le groupe Thiele. A partir du 23 juin le Lützow et le Prinz Eugen font une première apparition dans les eaux finnoises en transportant munitions et des pièces de flak au secours des troupes terrestres. Trop exposé aux raids aériens à la base navale Aspö en Finlande le Lützow rentre à Gotenhafen le 8 juillet 1944. C’est là qu’a lieu la dernière revue navale à l´occasion du changement du « chef de la flotte » de la Kriegsmarine. Les croiseurs lourds Admiral Hipper, Prinz Eugen, Lützow et Admiral Scheer ainsi que les croiseurs légers Köln, Leipzig, Nürnberg et Emden participent à l’évènement. Les semaines suivantes le Lützow continue à « faire la navette » dans les eaux orientales de la mer baltique tout étant de plus en plus mis en danger par les avions russes. Le 8 aout 1944, aux chantiers navals de Gotenhafen on remplace alors les pièces de flak existantes de 3,7cm et de 2cm simple par 8 pièces de 4cm Bofors et six pièces de Flak 2cm double. Le 24 septembre, il participe avec le Prinz Eugen, deux contre-torpilleurs et deux torpilleurs à la couverture du convoi chargé d'évacuer les 2000, les informations manquent sur l’effectif précis, soldats de l'armée de Laponie.

Les derniers mois de 1944 la Kriegsmarine va voir ses unités de surface se concentrer en Mer Baltique pour soutenir l´armée de terre à tenter de stopper ou au moins de retarder l'avance russe. Tous les navires disponibles sont ainsi utilisés pour des évacuations de civils, des transports de troupes et des missions d'appui feu sur buts terrestres. A partir du mois d´octobre, le groupe Thiele avec le Prinz Eugen, le Lützow, trois contre-torpilleurs et quatre torpilleurs intervient, sur demande de l´armée de terre, pour soutenir les troupes allemandes. Les grosses pièces de marine bombardent les soviétiques jusqu’à 20 km à l'intérieur des terres et permettent à la Wehrmacht de réaliser un front défensif autour de Memel. Cette action arrête pour un moment l´avance russe.

Les bombardements terrestres intensifs apportent deux problèmes : une consommation de munitions non prévue et jamais vue auparavant, en second lieu une usure rapide des tubes des canons. Le ravitaillement, les réparations dues aux attaques aériennes, l´usure du matériel et le transport des troupes font que les navires prennent sans cesse le relais entre port, chantiers navals et secteurs d´opérations. Rarement tout le groupe est au complet. Plusieurs fois, l’Amiral Thiele doit transférer son pavillon entre le Prinz Eugen, le Lützow et l’Admiral Scheer.

Après Memel le groupe se voit en urgence diriger vers l´ile Ösel (Saaremaa / Estonie) et sa presqu´ile Sworbe où à partir de début novembre le Lützow et deux contre-torpilleurs vont au secours aux troupes allemandes en retraite et arrivent à stabiliser le front. Le Lützow rentre à Gotenhafen pour faire le plein de munitions de tous calibres et faire mesurer l´usure des tubes de l´artillerie lourde par des spécialistes de Kruppafin de recalculer les données de tir. Deux cents survivants du cuirassé Tirpitz, coulé le 12 novembre par la RAF dans un fjord en Norvège sont à bord du Lützow Une nouvelle attaque en force des soviétiques, le 18 novembre, force le groupe à retourner prématurément à Sworbe, d´abord avec le Prinz Eugen et cela jusqu`à l´épuisement de ses munitions de 20,3cm, ensuite l’Admiral Scheer prend le relais, suivi par le Lützow. L’ensemble des navires est attaqué presque sans arrêt par l´aviation soviétique. Dans la nuit du 22 au 23 novembre, la Kriegsmarine réalise l'évacuation des troupes restantes engagées dans la presqu'ile. De retour à Gotenhafen, un des huit moteurs diesel doit être démonté et réparé. C´est seulement le 12 décembre que le Lützow peut appareiller. Par miracle dans la nuit du 18 décembre il survit sans dommage à une attaque aérienne des bombardiers de la RAF qui larguent 824 tonnes de bombes sur le port de Gotenhafen, coulant des cargos, des pétroliers et le pré-dreadnought Schleswig-Holstein. Par précaution le croiseur est transféré à Pillau en Prusse-Orientale. On arrive à trouver dans un dépôt près de Danzig des obus de 28cm oubliés.

Le 15 janvier l´Armée Rouge commence l´attaque sur la Prusse Orientale. Aussitôt le Lützow reprend la mer. Le 7 mars 1945, le Prinz Eugen, le prédreadnought Schlesien et le croiseur léger Leipzig (groupe Rogge) accompagnés par les Z31 et Z34 opèrent au profit des troupes allemandes de Gotenhafen avant d'être rejoints par le Lützow. Ce dernier est transféré le 8 février 1945 dans la région d’Elbing et Frauenburg en Prusse-Orientale pour assurer des missions d'appui et d'évacuation de la population en fuite. Pour la première fois les marins du croiseur sont obligés à tirer sur leur propre territoire (un des chefs de « tourelle Bruno » reçoit l’ordre de détruire son village de Tolkemit).

Parallèlement, la Poméranie, avec Stettin et Swinemünde plus à l´ouest, est fortement menacée. Le 7 mars 1945, le Lützow gagne Swinemünde. Il est amarré au bord d´un canal à l´intérieur du pays au lieu-dit Lognitzer Ort pour participer à la protection de la région de Stettin / Usedom / Wollin. La ville de Swinemünde est attaquée le 12 mars par 400 bombardiers. Elle est partiellement détruite ainsi que de nombreux de bateaux dans le port. Le Lützow, non repéré en sort indemne. Le front autour de Stettin se stabilise, par contre la Prusse Orientale avec Danzig risque d´être perdue. Le 22 mars 1945, portant la marque de l'amiral Thiele et escorté par le Z31 et Z34, le Lützow regagna la région de Dantzig pour relever l'Admiral Scheer dont les canons sont entièrement usés et qui doit rentrer aux chantiers navals à Kiel. Là il est coulé par la RAF le 7 avril.  L´action du Lützow ne retarde la prise de la ville par les soviétiques que deux jours. Jusqu´au 28 mars, couvert par les torpilleurs T23 et T28 et ses contre-torpilleurs ils bombardent les positions soviétiques autour de Gotenhafen au nord de Dantzig malgré les attaques, sans succès, des avions ennemis. Gotenhafen doit être abandonné le 28 mars, l´épave du Gneisenau est mise en barrage devant l´entrée du port. 8000 soldats et 30000 civils arrivent à être évacués sur la presqu’île de Hela. Le 4 avril le Lützow n´a plus de munitions, ce qui indique des engagements intenses et prolongés de ces dernières semaines. Les toutes dernières réserves de 28cm se trouvent sur le cargo auxiliaire (Trossschiff) le Franken qui attend en mer près de Hela. Dans la nuit, en plein brouillard, on arrive discrètement à transférer les munitions. Le cargo coule le 8 avril sous les bombes soviétiques. Le soir même, le Prinz Eugen et le Lützow sont sécurisés par trois contre-torpilleurs et un torpilleur et reçoivent l´ordre à se rendre à Swinemünde.

 

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La fin

Le Lützow regagne le même endroit au Lognitzer Ort qu´un mois auparavant. Le soir de son arrivée il est repéré par un avion de reconnaissance britannique. Les autres jours, les survols continuent sans arrêt. Le 13 avril, il subit une première attaque aérienne, mais un plafond trop bas réduit l'efficacité du bombardement. Le 15 avril, une autre attaque doit être abandonnée bien avant l´arrivée sur zone en raison à nouveau du mauvais temps. Mais tout change le lendemain. Dans un ciel clair, 18 Lancasters du squadron 617, l'unité des « briseurs de barrage », dont 14 chargés de Tallboy et escortés par des P51 Mustang des squadrons 442 et 611 attaquent le  Lützow à l'aube. La proche déflagration dans l'eau d’une tallboy de 5,4 tonnes cause une brèche longue de dix mètres et haute d’un mètre. Le Lützow prend une gite de 56° sur tribord vers la berge et se pose dans la boue du canal.  Une bombe de 250 kg touche et arrache le donjon de la tour avant avec le télépointeur, une autre traverse les compartiments à proximité de la soute à munitions arrière de 28 cm (tourelle Bruno) mais elles n'explosent pas. Un seul Lancaster est abattu, 7 aviateurs et 12 marins sont tués. Le navire est alors équilibré à l´aide d´un bateau-pompe pour pouvoir former une base     d´artillerie stable. On arrive à fermer provisoirement les voies d´eau et à vider le compartiment des groupes électrogènes no. 4 puis à les réparer pour avoir le courant nécessaire afin de continuer le combat. Toutes les pièces de DCA (Flak) sont démontées et installées sur les contre-torpilleurs Z33 et Z34 pour renforcer leur défense. Le Lützow n’a plus de protection aérienne propre. La tourelle Anton de l'artillerie principale est remise en service et le navire sert alors de batterie lourde jusqu'au 3 mai, tirant jusqu´à 42 km sur les unités de l'Armée Rouge qui encerclent Swinemünde, notamment le 28 avril. Un minimum de marins nécessaire au fonctionnement de l´artillerie reste au bord. A court de munitions, les allemands décident de saborder le navire en commencant par faire sauter les tourelles de 28cm et de 15cm. A l´intérieur de la coque sont déposés des charges à minuteries et à l´extérieur des mines tout au long de la coque. Un feu de mazout flottant sur l´eau, s’infiltre dans les brèches du navire en raison de l’arrêt des pompes, surchauffées. Le feu se répand très vite empèchant la mise d´amorces/fusées sur les mines. Les charges à l´exception des mines, explosent sans contrôle suivant l´avance du feu. Le sabordage reste donc incomplet.

Du lancement le 19 mai 1931 jusqu´au sabordage, le 3 mai 1945, uniquement 68 marins du Deutschland Lützow ont trouvé la mort.  Le bilan du volume de navires coulés  au cours de ses campagnes tout au long de la guerre reste dérisoire: 7000 tonnes.Le Graf Spee en a coulé 50 000 tonnes et le Scheer 137 223 tonnes.

Lützow_1945Le Lützow après l'attaque du 16 avril 1945. Sur la berge un impart de bombe tallboy. Amaré au navire  un bateau pompe qui va le  stabiliser définitivement.

Lützow_LognitzerOrt_1945-47_1

Lützow_LognitzerOrt_1945-47_2Le navire repose désormais sur le fond du fleuve.

1945-1947, épilogue

Après la capitulation, les Russes parviennent à renflouer le Lützow. Il est alors remorqué à Kaliningrad, l’ancien  Königsberg pour expertise. Peut-être pour une remise en état. Mais les travaux sont trop importants. Ils décident alors  d´utiliser l'épave pour des tests de résistance aux bombes de gros calibres et de le  couler dans la mer baltique. L´épave est remorquée pendant deux jours de Swinemünde à un endroit au large de Rostock. Des bombes de 250 et de 500kg sont disposées sur le navire et le 22 août 1947 mises à feu, provoquant le naufrage du cuirassé. L'épave reposant aujourd'hui à 113m de profondeur.

 

 

Sources principales :

 

 1 : Hans Georg Prager,  Panzerschiff Deutschland – Schwerer Kreuzer Lützow

Koehler, Ausgabe 2001

 

 2. Gerhard Koop / Klaus-Peter Schmolke.  Die Panzerschiffe der Deutschland-Klasse

bernardGraefe Verlag, 1993
Site netmarine.net

Forum Axishistory.com

 

 

 

 

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Allemagne, chroniques 1933/1945
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